Transparence
Salut les p’tits n’veux ! Et si aujourd’hui cette chronique allait, disons, tendre vers son idéal absolu, en quelque sorte, partant du motocross, sa raison d’être, pour voguer vers des rivages plus inattendus, ceux de la réflexion ? Kestenpensez ?
Ah, ça non, vraiment, je n’aurais pas pu faire chirurgien ! J’ai toujours été affreusement douillet et la vue du sang me met instantanément mal à l’aise… Mais il faut tout de même reconnaître que Ken Roczen n’a pas mégoté, fournissant un louable effort de… transparence : je veux parler ici de ces fameuses images tweetées le jeudi 26 janvier, celui suivant Anaheim II et le crash du pilote HRC, qui montraient son bras gauche blessé non pas sous toutes les coutures mais, carrément, DÉCOUSU ! Des plus jusqu’au-boutistes, même, comme type de transparence, dans le genre. Et plutôt instructive, après tout…
Mais était-ce bien indispensable ? Une fois de plus la question se pose, comme nombre de questions se posent à propos des réseaux sociaux, de leur rôle, de leurs limites, ou de celles de leurs utilisateurs, surtout. Et attention, je ne parle pas ici de point de vue moral : pas question, on s’en fout ! Est-ce bien ou mal, là n’est pas le sujet, pas du tout, il s’agit plutôt de savoir où se situe la limite en matière de… show ! De vie privée, d’intimité même, dirai-je… Aux limites de l’exhibitionnisme. Se serait-il blessé au niveau de l’entrejambe, nous aurait-il, pareil, montré une coupe longitudinale de sa teub’ ou un gros plan du périnée et de l’anus, déchirés-z’ensanglantés de préférence ? Une fois encore, le souci n’est pas de savoir si « ça se fait » ou non, si ça choque les bien-pensants, etc. Mais juste de réfléchir, de se questionner : doit-on absolument utiliser à tout bout de champ et à tort et à travers nos joujoux, smartphones, internet, Tweeter et autres Facebook que désormais tout un chacun n’arrive plus à lâcher deux minutes ? Kenny avait-il emporté son iPhone en salle d‘opération et prié une infirmière de ne pas oublier d’immortaliser à l’instant T son bras « disséqué » ?
Bon, là-dessus, le 2 février, nouveau tweet de la part de K-Roc qui nous explique qu’il vient de subir une cinquième intervention, qu’une autre l’attend en fin de semaine (le vendredi 4) puis qu’ensuite il pourra rentrer huit jours chez lui, avant de revenir à l’hosto se faire opérer une dernière fois, histoire pour les toubibs de vérifier que tout est bien en place et qu’ils peuvent mettre, a priori, leur point final à toute l’affaire.
Sur la photo accompagnant ces infos le patient arbore un total look Kanye West avec lunettes rondes, boucles d’oreille cristal du dernier chic et lipstick violet : il est clair que notre ami, qui c’est certain va commencer à trouver le temps long, s’amuse comme un petit fou en abusant de Tweeter, Instagram, etc. Sûr, ça occupe ! Qu’il s’agisse du cerveau ou du reste du corps, l’immobilité (l’immobilisme non plus), ce n’est pas son truc, au Roczen, comme on a pu le remarquer à maintes reprises. On n’a donc pas fini d’entendre de ses nouvelles et, tout bien pesé, c’est quand même nettement plus intéressant que de tout savoir sur les amours contrariées de Flavie Flament ou de ne rien louper des aventures salariales de Pénélope F., n’est-ce pas ?
Et donc, boum, voici que déboule ce lundi une nouvelle communication, un tweet relayé par le site british gatedrop.com (Irlande du Nord) et cette fois c’est du très lourd, on ne rigole plus : Kenny revient sur son crash, ce qui ne manque pas d’intérêt, ainsi que sur la gravité de ses blessures. Sur un ton incomparablement plus grave que la semaine précédente (et ce ne sont pas seulement les effets des anti-douleur et autres substances « planantes » qui se sont évanouis) le champion explique tout simplement qu’il aurait pu perdre son bras ou pire encore, que dans les heures qui ont suivi son admission à l’hosto il a donc vécu une vraie période d’angoisse. Avant d’être complètement rassuré par les médecins quant à une totale guérison et que, eh bien, en ce qui concerne la chute, lui n’a pas eu l’impression de commettre une quelconque erreur… Mais, si des fois vous n’aviez pas lu ce message, écoutons-le plutôt :
Vous passez des mois à vous préparer, à vous entraîner, à rouler encore et encore pour être prêt pour un championnat, sans jamais rien lâcher. Pas la moindre petite chute des semaines durant et puis tout à coup tout s’écroule pour un minuscule incident de parcours. Honnêtement, je ne vois pas ce que j’ai pu faire comme erreur. Par le passé il m’est souvent arrivé de me dire : « Mon pote, là tu as été nul », mais cette fois rien à voir. En course, il s’agit de réagir vite… Très vite ! Et pas question d’appuyer sur le bouton « Pause », histoire de prendre une seconde ou deux pour réfléchir à ce que vous allez bien pouvoir faire. C’est toujours l’instinct qui commande, c’est comme ça. Et analyser après coup ce genre de situation, ça fait partie de l’apprentissage, c’est ainsi qu’on progresse. Mais là, comme je l’ai déjà dit, j’aimerais bien pouvoir expliquer ce qui s’est passé exactement, revoir ma chute et m’exclamer : « Oh, c’est donc ça, ce qui m’est arrivé… Mais non, je ne peux pas. Et je ne sais pas du tout si ça rend les choses plus faciles ou non. En tous cas je me sentais plus concentré, plus déterminé et plus confiant que jamais, ça se voyait (à mes yeux, je veux dire) dans mon pilotage et puis, sans prévenir, si brutalement, il y a eu cette frayeur insensée. J’ai eu BEAUCOUP de chance de ne me démolir que le bras parce que, à cette vitesse, à cette hauteur, ça aurait pu donner quelque chose de bien plus moche. Et j’ai vraiment eu une peur bleue rétrospective, en sortant de la première intervention chirurgicale, lorsque le Docteur Viola m’a expliqué que, si je n’avais pas été opéré si rapidement, j’aurais pu perdre mon bras. S’était déclaré un syndrome des loges aigu, c’est à dire que mes muscles avaient tellement enflé suite à la violence de l’impact qu’ils n’étaient plus irrigués comme il fallait, qu’une pression sanguine excessive endommageait les tissus et qu’il y avait un risque sévère de dégénérescence… Et lorsqu’un muscle est mort, il n’y a plus aucun recours. Aucun. Rien. Genre de pilule un peu dure à avaler, mais bon, on se dit que ça aurait pu être pire… Je ne sais pas, j’ai ressenti le besoin de raconter cette histoire. Aujourd’hui tout risque est écarté et je dois dire que ça fait du bien d’entendre que finalement tout va s’arranger. Je n’ai qu’à m’armer de patience.
Impressionnant, non ? Fort, le témoignage. Sur ce coup, Kenny dépasse de très loin le simple gimmick du geek, ou le clin d’œil second degré de jeune garçon moderne qu’il est par ailleurs, young American. Il passe à autre chose, il change de dimension. L’homme a traversé des moments terribles, entre le coup de flip sur l’instant, la douleur durant les heures qui ont suivi le crash, puis cette épouvante en flashback à l’idée d’être passé tout près de l’irréparable… Et il a éprouvé le besoin de ne pas garder tout ça pour lui, d’évacuer, en quelque sorte. De partager, non sans profondeur. Face à cette déclaration, le mot qui me vient à l’esprit, c’est respect. Obligé.
Voulez-vous que je vous dise, moi qui ne suis pas un grand fan des réseaux sociaux, qui ne passe pas mes journées sur mon mobile à jouer les Petite Poucette, cette enfant du numérique immortalisée par Michel Serres, je vais vous avouer un truc qui me turlupine un peu tout de même, eh bien l’Allemand est en train de me réconcilier avec tout ça !
Well, on aura sûrement l’occasion d’y revenir un de ces jours, sur ces questions de mobilité des communications, du progrès technologique, d’accélération du temps et d’addiction de millions de gens a priori équilibrés, ce que les psys nomment nomophobie (no mobile phone phobia)… « Jésus a donné sa vie pour les péchés de quelqu’un, mais pas les miens », chantait Patti Smith…
En attendant : see ya, nephews !