En 1985, la finale du Trophée Rodil, tentative un tantinet maladroite de la FIM de mettre un pied dans le SX et sur le territoire américain, a lieu le 9 novembre au prestigieux Coliseum de Los Angeles. Le promoteur Mike Goodwin a quelques idées pour rendre les choses intéressantes entre les spécialistes américains du SX et les pauvres européens perdus dans cette galère. Mais les choses vont quelque peu déraper, pour donner lieu à une farce d’une ampleur monumental.
La course la plus WTF de l’histoire ?
Après deux épreuves en Suède et en Espagne disputées dans une certaine indifférence, le pilote privé Yamaha Jim Holley débarque en leader à domicile pour la finale, qui a lieu au Coliseum de Los Angeles. Et cette fois, il y a du beau monde pour l’accompagner, avec des noms comme Jeff Ward, qui vient de remporter le championnat SX, son coéquipier Ron Lechien, mais aussi les officiels Honda David Bailey et Johnny O’Mara, les pilotes d’usine Suzuki Georges Holland et Eric Kehoe, mais aussi tout un tas de très rapides privés US comme Scott Burnworth, Ricky Ryan, Russ Wageman, AJ Whiting…
Tous des spécialistes du SX, contrairement au courageux contingent européen. Composé d’Eric Geboers, Georges Jobé, Gert Van Doorn, John Van de Berk, Dave Strijbos et quelques autres. Mike Goodwin, promoteur de SX sulfureux déjà à l’époque, a une idée pour aider des euros aussi à l’aise que des poissons hors de l’eau. Faire partir les deux premiers de chaque série sur une deuxième ligne. Considérant que les Américains vont facilement dominer les qualifs. D’après les dires de Ron Lechien dans la vidéo, l’idée a été exposée au pilote juste avant la course.
La première série est facilement dominée par l’homme qui monte aux US, un certain Ricky Johnson. RJ a déjà signé son contrat 1986 avec Honda, le team star. De fait, Yamaha n’a pas voulu lui prêter une machine. Mais il n’a pas encore le droit d’utiliser une autre marque. Aussi se pointe-il sur place avec une incroyable 250 YZ ultra-modifiée par Innovation Sports. La société du visionnaire Jim Castillo (proprio du mythique Castillo Ranch). Caleçon Life’s a Beach au-dessus du pantalon Fox et sourire carnassier. RJ est déjà une star en devenir et le chouchou du public. Georges Jobé, auteur du holeshot, démontre bien quant à lui le gouffre qui existe entre spécialistes du SX et piliers des GP. Ce sont déjà deux sports différents…
Tout part en vrille dès la deuxième série. Largement en tête, Johnny O’Mara ne fait même pas semblant. Il roule la moitié du dernier tour au pas, histoire de se faire passer et de terminer troisième. Ce qui lui donne la première place sur la grille de la première ligne. Mais Eric Geboers capte tout de suite la manœuvre. Et on se retrouve avec quasiment une course de lenteur digne d’un trial indoor. Déjà que les passages dans les whoops donnaient l’impression qu’on était en Endurocross…
Là, on sent qu’il y a un truc qui ne va pas, tout comme les commentateurs. Dont Broc Glover. Rick Johnson, interviewé au micro, laisse sa colère s’exprimer, en traitant ses adversaires de « chicken ». Qu’on peut traduire par poule mouillée. La suite est encore pire, Ron Lechien, leader de la troisième série, laisse passer juste avant l’arrivée un Van de Berk pas dupe, qui feint alors une blessure. Autant dire qu’on comprend pourquoi le Hollandais n’a jamais de carrière dans la comédie…
L’histoire tourne au fiasco au fur et à mesure. Jeff Ward, plus malin, se cache derrière le péristyle alors qu’il est devant au dernier tour, et parvient lui aussi à prendre cette fameuse troisième place, laissant la victoire à Ricky Ryan. Qui livre ensuite une interview aussi WTF que possible, à l’image de la soirée. David Bailey, lui, a perdu les freins sur sa machine mais termine second, déclarant au micro qu’il voulait gagner sa série, et que maintenant, il veut gagner en partie de la seconde ligne. Ricky Johnson n’en peut plus, et prend carrément le micro du speaker du stade pour crier sa colère, en remettre une couche à ses adversaires et plus ou moins insinuer que s’il était dans le public, il partirait tout de suite ! Imaginez ça aujourd’hui… Autant dire que ce format n’est pas revenu en saison deux.
Finalement, après un LCQ animé par un jeune Dave Strijbos à l’attaque et une interview d’un Jobé un poil dégoûté (« le promoteur nous avait promis que les tops Américains partiraient en deuxième ligne, et me voici en première ligne. C’est marrant »). La finale part avec donc avec un holeshot de Jeff Ward devant Johnny O’ et un Lechien qui se sort d’entrée en tapant dans Johnny. Ça restera comme ça jusqu’au bout, avec un vainqueur qui se fait copieusement sifflé par un stade en ébullition. Et Jim Holley qui devient le premier champion du monde de Supercross, devant John Van de Berk ! L’histoire a démontré année après année qu’elle refusait d’avoir un « vrai » championnat du monde de SX. Malgré plusieurs tentatives, dont ce Trophée Rodil qui s’est prolongé quelques années.
Autre intérêt historique non négligeable de cette course, elle a accueilli le premier east/west shootout 125 de la discipline. À l’issue de la première saison 125 de SX. Là, pas de grille décalée ou de manigances. Mais l’attaque des jeunes Bobby Moore, Bader Manneh, Billy Franck, Mike Healey, Eddie Warren et les autres vaut le coup d’œil !