Si le nom de Cédric Lucas ne vous évoque rien, vous connaissez au moins son travail si vous suivez un minimum le SX/MX. Et sinon, vous vous êtes sacrément égarés pour arriver jusqu’ici… Mais reprenons. Ancien pilote de bon niveau en SX/MX, Cédric s’est ensuite rapidement imposé comme un remplaçant idéal pour son mentor Jean-Luc Fouchet, pionnier du SX français en tant que pilote puis comme promoteur et traceur de piste. Désormais fermement installé au commandes du Bobcat, Cédric Lucas (rien à voir avec Georges, au passage) a signé quelques unes des plus célèbres pistes en France et d’ailleurs, d’Ernée au SX de Paris en passant par Agen. Rencontre avec un passionné !
Déjà, ça fait combien de temps que tu fais des pistes ?
Cédric Lucas : J’ai commencé à travailler pour JLFO en 2006 ou 2007, je ne me rappelle même plus. C’était pour le premier Kenny Festival, donc je dirais 2007. Je n’ai pas tout de suite fait des pistes, parce que je n’étais pas plus conducteur d’engins que ça. J’ai bossé sur le montage de l’événement avec Jean-Luc (Fouchet, le boss de JLFO). C’était ma dernière année en SX, même si je n’ai pas eu plus de carrière que ça… Avec Jean-Luc, on se voyait sur les courses de SX, et ensuite il m’a dit de venir à Bercy pour les aider. Là, j’ai commencé à étaler de la terre dans les coursives, parce que je ne savais pas faire et comme ça je n’avais pas l’air ridicule, personne ne me regardait ! De fil en aiguille, on s’est revu, on a établi un petit programme ensemble, mais plus sur le côté événementiel que piste. On a fait le salon de Lyon où il y avait une piste d’enduro indoor, donc il y avait quand même un peu de manip’ de terre et de la manutention, la rando qui s’appelle maintenant la Bihr Adventure, des trucs comme ça. Pas beaucoup d’engins, quoi. Ensuite j’ai complètement arrêté de rouler, mais j’ai continué à le suivre sur le SX français et faire de l’entretien, sans décider de quoi que ce soit, en écoutant Jean-Luc. Le fait d’avoir rouler, même si je n’étais pas une star, je pense que ça m’a permis plus vite de savoir quoi faire et ne pas faire, ce qui est dangereux ou pas… Le feeling que tu as quand tu connais ce que c’est que sauter un enchaînement, ça aide. Tu sais où la bosse va t’envoyer, quoi, c’est plus simple. On a échangé avec Jean-Luc. Et 20007/2008, j’ai commencé à aller tout seul sur des SX estivaux. Là, il y a eu de l’échange avec les pilotes, pour progresser et avoir la confiance des mecs. C’est important. Après, un peu de demandes pour les particuliers à droite à gauche et ça a commencé comme ça. En parallèle, je donnais des stages dans mon quartier parce que j’avais passé mon BE.
C’est là que le travail de piste a pris le dessus ?
Cédric Lucas : Oui, c’est ça. On n’est pas cinquante en France à faire ça, donc ça va vite. Je me suis retrouvé rapidement à faire la majeure partie des pistes privées des tops. Le premier, ça été Fabien Izoird, puis Davide Degli-Esposti en Italie, ensuite des pistes de MX… De fil en aiguille, ça a pris de l’importance comme ça, les Nations à Ernée en 2015, les US…
Tu faisais quoi aux US ?
Cédric Lucas : J’y suis allé deux fois deux mois pour bosser sur les pistes d’entraînements des marques, en février/mars. À l’époque, c’est Marc Peters qui gérait toutes les pistes à Temescal Valley, même si ça a un peu changé aujourd’hui avec Dream Traxx qui en a récupéré une partie. J’entretenais les pistes la semaine, je les refaisais le week-end, je me rendais disponible en fonction de ceux qui voulaient des pistes propres ou pas. Ça m’a bien appris aussi. Ça m’a aussi permis de faire la transition entre le anciens SX que tu as connu avec Jean-Luc à l’époque et la nouvelle génération, à cause de l’arrivée des 4T aussi. Si on faisait les pistes de l’époque aujourd’hui, on se ferait insulter ! A partir de là, Jean-Luc a vraiment commencé à me faire confiance sur les plans pour Paris ou Lille… Il aime ça, donc il s’intéresse au truc, mais il me laisse faire au niveau du tracé, des bosses. J’en ai la pleine responsabilité, si ça marche ou pas.
Tu voyages, du coup !
Cédric Lucas : Oui c’est clair. J’ai eu la chance d’aller en Chine avec Pierrick Paget une semaine avant le Covid, aussi. On n’a appris l’histoire du Covid que quand on est rentré ! On ne faisait pas les malins ! J’ai eu aussi deux/trois expériences africaines, ou la Serbie. Des endroits où le MX n’est pas du tout développé comme chez nous, du coup tu t’adaptes à ce que tu as niveau matériel et humain aussi. Ça permet de rencontrer plein de gens de cultures différentes, c’est très enrichissant, même si tu sais que tu ne vas pas faire la piste du siècle.
J’ai vu passer ton expérience en Serbie sur les réseaux sociaux. Comment t’est-tu retrouvé là-bas ?
Cédric Lucas : C’est un jeune qui m’a contacté par les réseaux sociaux justement, je ne sais plus exactement comment. Il roulait un peu dans la région parisienne, mais il est Serbe d’origine, et il voulait pouvoir rouler chez lui et faire rouler les gars de là-bas. Sa famille a un peu d’argent. Ce n’est pas le genre de projet que je fais au mois de juin quand il y a beaucoup de boulot ici, mais plutôt l’hiver, février/mars. Le timing était serré ! Il a nettoyé sa parcelle, mis à plat tout nickel. Pour la petite histoire, je leur ai demandé de me trouver un Bobcat, ou au moins un petit chargeur à chenilles. Il a tellement été sérieux qu’il en a acheté un à Paris et il l’a fait rapatrier sur une remorque en Serbie. Le truc est arrivé sur une remorque en surcharge complet, avec un Vito rallongée, une lame niveleuse, un godet, des fourches de tracteur… Il a traversé Paris comme ça, jusqu’en Serbie. À la Douane, il ne connaissait pas le douanier, mais il est passé parce que le Bob était tellement enrubanné qu’il l’a fait passer pour un meuble pour ne pas payer la taxe !
Ah oui, il ne rigole pas !
Cédric Lucas : Non, c’est sûr ! Je me suis retrouvé là-bas avec deux chauffeurs de pelle. Alors, attention, la Serbie, tu as Belgrade, la capitale. Tu sens que c’est en plein développement. Les grosses autoroutes à trois voies avec Ikea sur le côté, les belles bagnoles, les buildings. Nous, on était à trois quart d’heures, et là tu te retrouves à l’époque de nos grand-parents. Les petits tracteurs Massey Ferguson sans cabine, pas d’eau courante pour tout le monde, les moutons avec les bergers… C’est déroutant. Son père, pour te donner un exemple, il vit très aisément après avoir fait du business à Paris, mais il n’est pas sûr d’avoir tout le temps de l’eau pour la douche à cause de son puits, des choses comme ça. Il y a des chercheurs d’or dans la région, encore ! Et même des Allemands qui cherchent à acheter des vieux bâtiments, des écoles, parce qu’ils savent qu’il y a de l’or dessous. E t aussi des malédictions avec des histoires où tous les membres d’une même famille sont morts sur la même route au même endroit… C’est différent de chez nous, quoi ! Une expérience très enrichissante, de la culture aux repas, les verres d’eau de vie pour s’ouvrir l’appétit, et si tu le prends pas, le père il fait la gueule. Ils s’en mettent deux/trois dans la frimousse avant le repas. Il faut être un peu solide ! J’ai fini la piste le vendredi soir, et le samedi ils avaient invité les dix meilleurs serbes à venir rouler, et la moitié du village pour regarder. Ce n’était pas très grand, mais assez rythmé, avec des gros vélodromes, sympa. Tout le monde avait la banane. Pour arroser et que je puisse compacter, il a appelé un voisin agriculteur avec une petite tonne à lisier de 3000 m3 et il a fait au moins dix voyages. En plus de ça, il m’a ramené du miel parce qu’il était content ! J’adore ces expériences là, c’est ce que j’aime dans ce métier. Tu ne sais pas trop où tu vas avant d’arriver, même si tu as discuté avec le mec sur Whatsapp avant. Il peut te vendre la messe. Il y a toujours un petit effet de surprise !
Tu as une idée du nombre de pistes que tu as construites ?
Cédric Lucas : Pff, bonne question… J’en sais rien. J’en fais bien trente par an. Pas toutes des créations, hein. Jean-Luc en fait moins, mais il participe quand même à quelques trucs. J’ai aussi la chance d’avoir Loïc Bonnefond maintenant avec moi qui m’épaule sur pas mal de dossiers. Ça m’aide vraiment sur les entretiens où il faut remettre au propre, parce que je ne peux pas être partout non plus. Il y a un projet en cours avec la FFM, les plans pour le MXGP à Villars Sous Ecot l’année prochaine, les Nations à Ernée, sept/huit épreuves de SX Tour selon les années, un nouveau terrain vers Orléans… ça va vite. Mais encore une fois, on ne fait pas des re-créations à chaque fois. On s’appuie aussi souvent sur le boulot réalisé par les bénévoles des clubs, on les implique avec nous, ne serait-ce, par exemple, que pour bouger des volumes, où ils n’ont pas besoin de moi. Le fait d’être sur place le moins longtemps possible, ça permet aussi d’abaisser les coûts pour les clubs, c’est mieux pour tout le monde. Des fois, il y a moins de travail sur site qu’en amont.
L’an dernier, tu as aussi l’opportunité d’aller à la Réunion !
Cédric Lucas : Oui, c’est ça. Une bonne surprise. On a remis en route le SX de la Réunion, 34 après le premier avec Jean-Luc et Francis Magnanou. C’était un trip bien sympa aussi !
Quelle serait la piste dont tu es le plus fier ?
Cédric Lucas : Là, je ne vais pas te parler d’une piste, mais plutôt d’un événement, et c’est d’avoir organisé le SX dans le stade Armandie à Agen en 2017. Un SX dans un stade, il n’y en avait pas eu depuis très longtemps. Même si ce n’était pas le Stade de France et qu’il n’y avait « que » 9000 personnes dans le stade, il a fallu poser les cojones sur la table pour le faire et j’en suis fier, avec mon équipe. Après, niveau piste, quand tu fais un truc qui fonctionne comme les Nations à Ernée, que les Français gagnent et qu’ils te félicitent parce que la piste était belle, forcément ça fait plaisir. Peut-être qu’ils auraient pensé différemment s’ils avaient perdu, mais bon. J’ai ce souvenir après la course des pilotes contents, de jolis dépassements, des belles courses, c’est ce qui fait la magie de ce sport et de mon travail. Ça dépend vraiment des courses, en fait. Tu peux faire le plus beau terrain du monde, si en course il ne se passe rien, il manquera quelque chose. Et en France, on sera toujours un peu limité, par les moyens notamment. La moindre barrière que tu démontes, ça coûte de l’argent et du temps de la remettre, et c’est pareil pour tout. Encore une fois, on s’appuie beaucoup sur du bénévolat, on n’a pas le droit ni les moyens de faire n’importe quoi. En plus, selon où tu vas, tu sais que la piste que tu viens de faire sera plus ou moins bien entretenue…
Tu parles de moyens, concrètement, ça coûte combien de faire un terrain ? Admettons que j’ai un terrain plat et propre, déjà, tu vas me prendre quoi ?
Cédric Lucas : Ça dépend. S’il faut brasser de la terre une journée, c’est déjà un billet de 1000 €. Disons que si tu veux un petit terrain privé de deux hectares avec une piste qui va faire 1,2 km, ce qui est déjà pas mal, je dirais entre 10 000 et 15 000 € pour cinq jours de boulot avec les engins etc… Mais franchement, ça dépend de plein de choses. Si ton terrain est un peu en pente, tu auras plus facile par exemple à mettre des camels avec moins de terre à bouger, donc ça sera un peu moins cher. Entre 10 et 15 000 €, tu as une belle piste privée avec les talus et tout, en comprenant l’étude avant, le déplacement, la réalisation sur cinq jours et les engins. Il y a un peu de variance avec le gasoil, où sont les machines de location… C’est un ordre d’idée.
OK, ce n’est pas si dingue que ça niveau tarif… Allez, banco, je la veux ma piste. On fait comment ?
Cédric Lucas : Les gens commencent par appeler chez JLFO, comme ça il y a quelqu’un qui leur répond. Moi, franchement, je ne réponds pas au téléphone. Déjà parce que la journée, je bosse généralement chez les clients, et ils ne me payent pas pour que je réponde à d’autres clients éventuels… C’est une question de respect. En plus, on a mis au point depuis quelques mois un questionnaire préliminaire qui permet de m’aiguiller rapidement pour faire un pré-devis. On s’est aperçu qu’au lieu de passer à chaque fois une heure au téléphone pour poser les mêmes questions, comme la surface, si il y a déjà des engins, tout ce genre de détails. C’est plus pratique de faire comme ça, et on gagne énormément de temps. Sans me déplacer, je peux dégrossir le truc et lui faire une estimation à un jour près, on va dire, avec ce qu’on va trouver sur place. Ça m’évite aussi des déplacements où tu te rends compte que le contact n’avait absolument pas les moyens, ça arrive aussi !
Si vous voulez profiter des services de notre homme, contactez JLFO 05.65.27.01.89
Par Richard Angot, photos Cédric Lucas/MX July/Kévin François.