« Allo, c’est Valentin. Ca te dirait d’aller essayer les KTM d’usine à Faenza ? » C’est à peu près en ces termes que le webmaster de ce site web m’a présenté les choses. Après une courte seconde de reflexion, j’ai dit oui…
Voici comment je me suis retrouvé dans un avion direction Bologne, Italie, puis une Smart For Four de location. Je profite de l’espace internet qui m’est alloué généreusement par Valentin pour déconseiller absolument cette voiture. Jamais vu une caisse aussi pourrie avec juste 100 000 kilomètres au compteur. Un scandale. Excusez-moi, je digresse, mais ça soulage. Si vous êtes un lecteur assidu des revues motos, vous n’êtes pas sans savoir que les grandes marques font parfois essayer les machines de leurs pilotes au terme des championnats. C’est ainsi qu’il m’a déjà été donné de poser mes fesses sur les motos de Stefan Everts, Steve Ramon, Ben Townley, Tyla Rattray, Mickaël Pichon, Yves Demaria… à travers les années. Dur métier, mais quelqu’un doit bien s’y coller.
Cette fois-ci, le programme KTM est alléchant : toutes les motos Factory sont disponibles à l’essai. A savoir les machines de Rattray, Searle, Gonçalvès en 250 cm3 et Nagl et Barragan pour les 450 cm3. Arrivé à l’hotel de Faenza, Pit Beirer, le directeur de KTM Off-road, est là pour saluer les journalistes. Plus cool et sympa que jamais, Pit a l’air fatigué. « On a fait la fête toute la nuit. Trop, même. » Ceci explique cela. Il faut dire qu’après le dernier titre de Ben Townley en 2004, KTM n’avait plus grand chose à fêter, si ce n’est les titres MX3 de Téfli. Aussi, on a visiblement beaucoup bu ce dimanche soir. Stefan Everts, le manager du team, est là également. Toujours aussi affuté physiquement, La Légende autoproclamée distribue des Campari-Orange à la chaîne, visiblement très satisfait de prendre un titre pour sa deuxième saison seulement en tant que team-manager. En gros, vous l’aurez compris, l’ambiance est bonne en ce lundi soir. La seule crainte pour demain, c’est l’état du terrain. Une piste de GP, c’est déjà difficile, mais après 4 manches plus une journée du lundi qui a accueilli (sous la pluie) les essais de la nouvelle Honda 450 CRF, c’est carrément l’enfer. On verra ça demain. Rendez-vous est pris à 9 heures sur le circuit.
Cette fois, on y est. Pit Beirer réunit tout le monde pour un briefing et c’est parti. Le manque d’organisation peu autrichien tourne à la foire d’empoigne pour les motos mais on y arrive. Je peux enfin grimper sur une machine, celle de Barragan. Même intégré au team Silver Action, l’espagnol dispose bien d’une moto 100% factory. Simplement, Beirer et Everts ont trouvé plus facile de le laisser dans son coin, l’ibérique étant apparemment délicat à gérer. « On ne sait jamais avec lui. Tu l’attends pour faire du testing à Lommel, et il appelle à midi pour dire qu’il est rentré à Madrid… » m’explique Pit. « Mais on compte sur lui, on veut qu’il reste un pilote KTM. » Avec 4 GP remportés (meilleur performeur de l’année) et 84 tours en tête cette saison, sûr que El Jonathan est un pilote à garder.
Retour sur sa brêle. Le guidon Tomaselli est agréable et tombe bien sous la main. Idem pour les leviers, même s’ils sont un peu bas pour moi. Inutile de chercher le kick, suffit de presser le bouton rouge, le même que pour le coupe-circuit, placé juste à côté de la poignée de gaz. Evidemment, il n’y a pas un poil de jeu et la poignée est d’une douceur extrême. Très agréable. La selle est fine et ferme mais tout de même confortable. Par contre, la pédale de frein est tellement basse qu’elle est introuvable. Je me suis arrêté pour être sûr de ne pas l’avoir perdu. Première sensation, la facilité. Ceux qui voient ces motos de champions comme des bêtes ingérables peuvent repasser. Le moteur est d’une souplesse incroyable et permet de descendre très bas dans les tours, mais il monte aussi sans jamais faiblir. La ligne droite est vite avalée, la montée suivante également. Sans toucher à l’embrayage, la moto cabre systématiquement dans la grimpette. Il faut la calmer sans arrêt. Par contre, autant le moteur est enduro, autant les suspensions sont supermotard ! Ca tabasse sévère, comme dirait Sorby. Et dire que c’est la plus souple de toutes… Résultat, on ne se pose pas de questions sur les sauts. Exemple significatif : je saute une petite table en descente en aveugle. En l’air, je m’aperçois que je vais me poser pile dans un énorme trou bien carré juste à la réception. J’imagine déjà la galère des hôpitaux italiens, le coup fil piteux à Valentin, la mine déconfite des mécanos devant la KTM pliée… Et bah non. Il ne s’est RIEN passé. Comme si c’était plat. La différence avec une moto de série est là : dans cette capacité à encaisser les trous sans sourciller. Et si ces motos se méritent, une fois qu’on est dessus, les secondes tombent bel et bien au chrono. Je ne vous parle même pas du capital confiance. Au bout de 20 minutes, l’heure est venue de rentrer. Facile, exploitable, position assez neutre, la machine de Barragan serait à mettre entre toutes les mains si ce n’était la dureté des suspensions, plus précisément la fourche, et cette foutue pédale de frein.
"Des 450 hyper performants mais faciles à exploiter. "
Une heure plus tard, c’est la machine de Nagl qui se libère. Celle-là même qui a claqué le doublé il n’y a pas deux jours. Une fois juché dessus, c’est, comment dire, spécial… Le jeune allemand culminant à 1 mètre 20, la selle est totalement creusée et aussi dure que celle d’une trial. L’arrière de cadre a également été rabaissé. Tout ça avec un Renthal sans barre assez haut et vers l’avant et des leviers carrément vers le ciel, à la Everts (ou Le Cobra, vous choisissez). En un mot, c’est bizarre. Sensations de suite confirmées sur la piste, avec un amortisseur assez souple mais une fourche béton et une géométrie d’un autre monde.
Au début, je trouve la moto simplement inroulable. Et finalement, on s’y fait, même si je préfère largement les settings Barragan. Niveau moteur, c’est à peu près pareil. Facile, coupleux avec beaucoup de coffre. Un vrai tracteur, mais de course.
L’heure est venue de se restaurer et j’ai la chance de déjeuner à côté de Stefan Everts qui m’explique qu’il roule encore beaucoup en testing, plusieurs fois par semaine. D’ailleurs, cette après-midi il va rouler avec nous. Cool.
En attendant, la machine de Tommy Searle est libre. Le boute-en-train du team KTM roule avec un guidon Renthal sans barre assez cintré et des leviers bas. Pas ma came, mais l’ensemble donne confiance. Une nouvelle fois, les suspensions sont en béton, bien plus que sur les 450 encore. Tant que vous roulez tranquille, la moto est un enfer, un marteau-piqueur franchement désagréable. Par contre, niveau moteur, autant les 450 étaient faciles et exploitables, autant là, même s’il y a bien plus de coffre à mi-régimes que sur une 250 de série, c’est bien en haut que ça se passe, comme sur une bonne vieille 125 d’antan. Pour rouler vite avec ces machines, il faut les faire couiner. Et là, pas de soucis, la Katoche encaisse. Le rupteur est très haut, et quand vous l’atteignez, ça va déjà très vite. L’allonge est dia-bo-lique.
Par contre, Tommy roule quasiment sans ralenti. Du coup, je me fais peur en calant en l’air sur un saut en descente. Autre constatation, dorénavant je ne me gausserai plus des pilotes qui n’arrivent pas à redémarrer tout de suite après une chute : une KTM d’usine, c’est dur et long à kicker, à froid comme à chaud. Un journaliste a même ramené la brêle en poussant, incapable de remettre en route. Pour résumer, je reprends une phrase d’Alex Salvini (pilote MX1 quand même, venu essayer les brêles pour un mag’ italien) : « Cette douécinequanté, elle marché miou qué ma 4cinequanté dé cette année. » Possible. Quand on voit le nombre d’holeshots réalisés cette saison par les 3 officiels KTM, ça n’étonnerait personne.
"Une 250 à mettre au rupteur"
Enfin, après une nouvelle attente interminable, le Graal se présente à moi : la moto championne du monde. Premier constat immédiat : le dosseret de selle me rentre dans le cul. Ca commence bien. A part ça, la position est parfaite. Le Renthal Twin Wall n’est pas très haut mais bien droit, les leviers parfaitement dans l’alignement. Niveau position, la Rattray est la plus « standard » avec la moto de Barragan, mais le guidon est plus agréable ici. Par contre, on m’avait prévenu que c’était la plus dure en suspensions et ça se confirme. A ce niveau là, ce n’est plus une moto, c’est un BMX… Evidemment, plus on roule vite, mieux l’ensemble réagit. Problème, je n’arrive pas à rouler assez vite pour vraiment bien faire fonctionner les WP’s. Et contrairement aux autres qui gardent 1/10 du débattement assez souple en tout début de course, ici ça attaque dans le dur directement. Tyla n’est visiblement pas sensible au confort sur sa moto.
Le moteur a les mêmes caractéristiques que celui de Tommy-Le-Sourire, à savoir une allonge de folie et un rupteur à aller chercher au ciel, mais paraît plus pointu à exploiter. « Parce qu’il s’entraînent surtout dans le sable » selon Pit Beirer. « C’est pour ça aussi qu’il aime ses suspensions très dures ». Ok, je comprends mieux. Mes 20 minutes passent vite. J’apprécie pour la dernière fois avant certainement longtemps la qualité du freinage « Factory », commun à toutes ces motos. Les éléments Brembo usine sont indescriptibles de précision, de douceur et de facilité de dosage. Une fois habitué, doser son freinage se fait au millimètre, comme dans un rêve.
Voilà, le mécano de Rattray me fait signe de rentrer au camion. C’est fini. Je demande quelques explications techniques, mais le mécano se contente de me répondre « factory ». Ok, on se contentera des sensations de roulage, ce qui est déjà très bien.
Le simple fait de poser ses fesses sur ces machines est déjà un immense honneur pour un pilote de mon niveau. Je remercie donc chaleureusement le team KTM pour son accueil bordélique mais très sympathique, MX2K.COM de m’avoir envoyé en remplacement de ce bon vieux Holeshot (bon courage, vieux!), Shot Racegear pour les fringues, les pilotes KTM pour leur disponibilité et Tommy Searle pour avoir confirmé en live ce que je pensais de lui. Bon vent aux US Tommy, ne reviens pas trop vite !
Pour les fainéants qui n’ont pas eu le courage de tout lire, je livre en guise de conclusion ce que j’ai retenu de mon voyage :
– Les Smart For Four vieillissent très mal
– Pit Beirer est vraiment quelqu’un de charmant
– Barragan ne se sert jamais du frein arrière ou dispose d’une cheville en caoutchouc
– Les bons pilotes de GP roulent avec des suspensions TRES dures
– La moto de Nagl n’a pas de selle
– La moto de Nagl est inroulable pour qui que ce soit autre que Nagl
– Le moteur des KTM 450 usine est une merveille de douceur
– Le moteur des KTM 250 usine est une merveille d’allonge
– Le freinage des Brembo usine est surréaliste
– Tommy Searle a sans doute une maladie qui l’empêche de sourire
– KTM est peu enclin à communiquer sur les détails techniques concernant ses machines d’usine
– Rouler sur un circuit de GP un lendemain de course est une belle leçon d’humilité
– Se faire doubler par Stefan Everts sur un circuit de GP est une belle leçon d’humilité
– Essayer une moto d’usine est une sensation agréable
Par Richard Angot "The Holeshot Substitute", photos Ray Archer