Héritière d’une dynastie née en 1979, cette Cagiva WMX 125 d’usine, vouée à la destruction mais sauvée par son mécanicien de l’époque Massimo Castelli, aujourd’hui responsable technique au HRC en MXGP, a été championne du monde en 1986. Le dernier titre pour Cagiva en MX, et aussi le premier et le dernier pour son pilote Dave Strijbos, à l’époque plus jeune champion du monde de l’histoire.
Rescapée d’une destruction programmée par le mécanicien qui en avait la charge l’année de son succès, cette WMX 125 est historique pour trois raisons. En 1986, pour la première fois un Néerlandais devenait champion du monde et était alors par la même occasion le plus jeune de l’histoire du motocross. On se souviendra enfin qu’elle fut la dernière Cagiva honorée d’un titre mondial.
À bien la détailler, sa ligne reste très actuelle et son design des plus harmonieux d’un bout à l’autre. Et pourtant, près de trente-cinq ans sont passés depuis l’apparition de cette Cagiva WMX 125 sur les circuits. Il est étonnant aujourd’hui de voir à quel point une moto de son âge peut sembler si proche des machines actuelles.
Celle qui figure sur ces pages appartient à Massimo Castelli, actuel responsable technique
du team HRC en MXGP, mais au service de Dave Strijbos à l’époque. Il s’agit de l’un des rares prototypes encore en circulation. Massimo l’a complètement restauré il y a quelques années. Avec un soin maniaque manifestement, car cette Cagiva d’usine brille de l’éclat du neuf. « Elle était en avance sur son temps, raconte Massimo. Pas seulement pour son design, mais également parce qu’elle employait des matériaux spéciaux comme le titane pour la boulonnerie et le magnésium pour les moyeux — ou même le té supérieur de la fourche sur le modèle précédent. Un gros effort avait été fait pour gagner du poids. On le constate encore avec le tirant d’ancrage du tambour arrière en alliage d’alu taillé dans la masse. Puis il y a ce qui ne se voit pas. Le cadre par exemple est composé de tubes standard pour la section, mais qui sont en réalité bien plus fins que sur la moto de production. Comme cela se fait encore aujourd’hui, il fallait le remplacer toutes les trois ou quatre courses. »
Suivant les circuits, le pilote avait le choix entre deux configurations moteur : cinq ou six vitesses. La moto de Massimo est une version “six”. « La plupart du temps, c’était le six vitesses qui était utilisé. S’il fallait changer, on le faisait le samedi soir après les essais. Mais parfois on amenait deux motos déjà prêtes avec des boîtes différentes pour ne pas avoir à démonter et remonter le bloc. On avait également deux types de carburateur, un Dell’Orto de 36 et un de 37,5 mm pour le sable. Le moteur développait 35 chevaux et il prenait entre 11 500 et 12 000 tours. Strijbos l’utilisait beaucoup à partir des mi-régimes alors que Contini, par exemple, voulait une réponse encore meilleure en bas et que Vehkonen privilégiait les hauts-régimes. A l’avant, on a un disque flottant Brembo en alu de 240 mm et 5 mm d’épaisseur, qu’on remplaçait par un disque en fonte dans les conditions boueuses. »
” Elle était en avance sur son temps pour son design et parce qu’elle employait des matériaux spéciaux “
Cette année-là, le team Cagiva formait un véritable bataillon avec Pekka Vehkonen, champion en titre, et Massimo Contini en plus de Dave Strijbos, lequel était le dernier arrivé. Il s’était lui-même proposé à Cagiva et avait été engagé par Carlo Pernat, team-manager, et Jan Witteveen, directeur technique. Pour la
petite histoire, Strijbos avait été pénalisé l’année précédente pour avoir changé de machine lors des essais chrono du GP d’Allemagne qui se disputait dans la boue. Il pilotait alors la Honda-Venko du team De Groot et pensait qu’avec toute cette boue l’échange, alors interdit, passerait inaperçu. Mais
il n’avait pas échappé à Witteveen, lequel avait porté réclamation. Strijbos avait fini par être déclassé et du même coup avait perdu le titre en faveur de Vehkonen. Ironie du sort, voilà que les chemins de Strijbos et Witteveen se croisaient de nouveau, sans rancune apparemment pour le grand bénéfice de Cagiva.
« Nos trois pilotes étaient très forts cette année-là, poursuit Massimo, mais leurs machines avaient des caractéristiques différentes. D’une part parce qu’elle étaient réglées selon les préférences de chacun et surtout parce que le choix des suspensions était un peu une question de préférence nationale. Tous deux néerlandais, Strijbos et Witteveen avaient choisi WP — que Strijbos utilisait déjà sur sa Honda du team De Groot. Dans le même esprit, le Finlandais Vehkonen optait pour le voisin suédois Öhlins, ayant peut-être un intérêt personnel à le faire. Quant à Contini, il combinait fourche Marzocchi classique et amortisseur Öhlins. En définitive, chacun avait carte blanche sur le sujet. »
En dehors des Grand Prix, le jeune Strijbos (18 ans) gérait lui-même ses entraînements et ses courses nationales tandis que son père adoptif s’occupait de la mécanique. Massimo prenait le relais sur les GP et les séances de testing. Après chaque GP, les motos rentraient à Varèse, la maison-mère, pour y être révisées avant d’être renvoyées sur l’épreuve suivante.
«Dave était un peu le jeune hollandais typique, avec un côté froid au premier abord, mais il
avait aussi l’esprit vanneur et ne dédaignait pas les sorties en groupe. A côté de ça, il était à la fois calme, professionnel et droit. Sans doute parce qu’avec Witteveen il ne fallait pas déconner. J’imagine qu’avec ce qui s’était passé entre eux la saison précédente, Strijbos savait à quoi s’en tenir. »
Témoin de cette période dorée pour le constructeur italien, la WMX 125 de ces pages est l’un des rares modèles à avoir survécu. Car comme c’est toujours le cas aujourd’hui, les machines d’usine finissent généralement au pilon en fin de saison. « Par chance, Cagiva a bien voulu me la vendre et je l’ai eue pour le prix modique de 100 000 lires (50 euros environ). Je dois encore avoir la facture quelque part. L’argent a fini dans la caisse du service-course, caisse dans laquelle on piochait de temps en temps pour allez manger une pizza tous ensemble. Cette année, il y eut une raison supplémentaire de sortir faire la fête ! »
” Strijbos était le Hollandais typique, un peu froid mais très pro “
La saison avait pourtant bien mal débuté avec un GP d’ouverture disputé dans la boue, en France, où Strijbos avait abandonné à deux reprises. « Les deux fois, c’était un problème d’entretoise de l’axe de la roue arrière qui avait provoqué un déraillement de la chaîne, se souvient Massimo. Après ça, Strijbos avait fait une remontée de dingue au championnat et n’a plus quitté la tête. Dès le deuxième GP, en Hollande, il avait fait le doublé. Sur le sable, c’était vraiment lui le meilleur. Son principal rival était John Van de Berk. Lui prendra sa revanche la saison suivante. En 87, Strijbos était devenu moins constant. Il pouvait gagner deux GP puis ne pas entrer dans les points au GP suivant. Mais en 86, c’était vraiment une machine de guerre. Il gagnait tout ou presque. Cette année là au Brésil, il avait tellement d’avance qu’il avait été titré dès la première manche. Je me souviens que Honda-Brésil avait fait une opération importante là-bas en faisant rouler Micky Dymond (officiel American Honda). A l’extérieur de notre hôtel toute leur gamme était exposée. En passant devant avec l’équipe, j’avais dit que si on était champion, je balancerais une de leurs moto dans la piscine. Le soir, je l’ai fait pour de bon, Carlo Pernat m’a même donné un coup de main ! Bon, on était tous un peu bourrés. Et encore jeunes aussi… »
Pour Massimo, ce fut le premier titre, par procuration on dira. « Après la France, on n’a plus eu le moindre problème avec la moto, elle était super fiable. Sur le plan mécanique, elle était très simple, d’une grande facilité d’intervention. Il fallait juste opérer avec soin et beaucoup d’attention. Les composants n’avaient pas la qualité d’aujourd’hui. Tu devais contrôler minutieusement chaque pièce que tu démontais ou remontais pour parer à la casse. En dehors de ça, c’était un plaisir de travailler sur cette moto.
Nous avons eu plus de soucis l’année suivante, avec le frein arrière en particulier. Sur certaines pistes, le flasque du tambour n’aimait pas les passages dans les ornières profondes et les cailloux. Nous avons fini par passer au disque. J’étais encore avec Strijbos cette saison et la suivante, mais il n’a plus jamais gagné — et Cagiva non plus du reste. Il a d’abord été battu par Van de Berk puis par Jean-Michel Bayle. Lui était clairement plus fort niveau mental. A la dernière course, Strijbos partait battu, ça se lisait sur son visage. Quoiqu’il en soit, avec Dave on a été champion du monde et deux fois vice-champion, ce n’est pas si mal. »
La saison 1986 s’était donc déroulée sans véritable accroc — hormis en France — et Strijbos était au top. « Si le Grand Prix avait lieu sur un terrain favorable et qu’aucun pépin mécanique ne se produisait,
le doublé était quasi assuré. En revanche, il était un plus facilement prenable sur le dur, comme c’était le cas à l’époque pour la plupart des spécialistes du sable. »
Avec Strijbos, Cagiva a confirmé le titre 125 remporté l’année précédente avec Vehkonen. Une double réussite historique qui, d’une part, avait mis fin à l’hégémonie de Suzuki en 125 dix années durant, et d’autre part, prouvait qu’avec un projet bien étudié une petite marque pouvait prétendre à des objectifs ambitieux. « Le grand atout de Cagiva était que pratiquement tout était produit à Varèse ou par des sous-traitants locaux, hormis quelques composants bien spécifiques comme les suspensions ou les pistons Mahle. Cela allait du moulage et usinage des carters au châssis en passant par des éléments tels que vilebrequins, boîtes de vitesses, échappements, etc. L’intérêt pour le team résidait dans la rapidité d’exécution des différents services techniques. Tu voulais modifier le châssis ? Pas de problème. Tu apportais ton dessin le matin au service dédié, tu avais ton nouveau châssis avec la modif le soir même. On travaillait vraiment dans des conditions exceptionnelles à l’époque. »
Et cette Cagiva WMX 125 tout auréolée de gloire est encore là pour en témoigner
Les choix gagnants du Maestro
Jan Witteveen, responsable technique Cagiva
« Nous sortions d’une saison victorieuse. En 1985, Cagiva avait mis fin à dix ans d’hégémonie de Suzuki en Mondial 125. Ma réclamation portée contre Strijbos et Honda-Venko auprès des instances internationales au GP d’Allemagne avait été validée et cela nous avait remis en course pour le titre. Pour les deux derniers GP de l’année, Argentine et Brésil, nous étions particulièrement bien préparés avec notre essence ad-hoc et un moteur comprimé spécialement pour bien marcher aux 1 200 m d’altitude que
nous rencontrerions à Salta (Argentine).
L’équipe avait fait toute une série de tests en conséquence et c’est précisément grâce à ce travail que nous avions gagné les deux derniers GP. Le team Cagiva était bien structuré, bien organisé et avait l’avantage d’être géré directement par l’usine. Strijbos en avait pris conscience et il s’était lui-même proposé de nous rejoindre. Pour ma part, je songeais plutôt faire monter Corrado Maddii qui me semblait être le pilote idéal pour développer la nouvelle moto en 250, mais ça ne l’intéressait pas et il a préféré partir. Nous avons donc pris Strijbos et c’était un choix gagnant.
Pour 86, notre moteur avait progressé de manière remarquable. Par rapport au modèle précédent nous avions réduit la puissance maxi de 2 chevaux, passant de 37 à 35, mais en y gagnant une plage d’utilisation bien plus large. Notre moto était devenue à la fois plus réactive et plus facile à contrôler. Strijbos aimait que son moteur réponde bien à partir des mi-régimes. C’était efficace car à chaque départ ou presque, nous étions devant. Le peu que nous avions fait sur le moteur s’est avéré juste. Comme l’année précédente, nous avons fini premier et troisième du Mondial. Le plus beau est que chacun de nos pilotes avait gagné des Grands Prix. Pour Cagiva, 1986 fut un millésime mémorable. »